MiniReview: "La Fin de l'homosexualité" par Éric Duhaime

Nous autres, est-ce qu'on est juste comme tout le monde ?

 

 

(Image: painting by gay artist Eugène Jansson, 1862-1915)

 

C’est quoi, ça, La Fin de l’homosexualité et le dernier gay?

C’est un petit livre sur l’état des choses pour les gais du Québec en 2017, écrit par un animateur de la radio et ancien conseiller politique, Éric Duhaime, et publié tout récemment. 

 

Ça peut être intéressant! Il n’y a pas un tas de livres sur les gais du Québec, et on l’est, toi et moi, même si on est anglophone, donc…

Effectivement, je l’ai trouvé fort lisible! C’est un peu comme parler avec un ami opiniâtre et dogmatique, avec qui on est parfois d’accord, souvent vraiment en désaccord. Mais on n’est pas tous les mêmes, les gais. Faut avoir du respect pour quelqu’un qui est prêt à parler publiquement de sa vie intime.

 

Mais, c’est quoi son idée? On est opprimé, misérable, dépressif…

Au contraire! Selon monsieur Duhaime, le Québec est une société hyperouverte, tolérante, un modèle pour le reste du monde (au moins, en ce qui concerne les droits des gais). Et à cause de ça, l’époque où on ressent une obligation de parler de notre homosexualité est dépassée. On n’a rien à se plaindre. Pas besoin pour le gouvernement de gaspiller des fonds sur les organisations LGBT. Fini la victimisation! Monsieur Duhaime dit qu’il aimerais être le « dernier gay » dans le sens qu’il n’y aura aucun motif pour qui que ce soit de s’afficher comme gai ou bisexuel ou lesbienne dans le futur parce qu’on est juste des individus comme les autres (nous sommes « normaux », selon lui, « on ne fait plus rien d’immoral ou d’anticonformiste ») et il n’y a plus de discrimination à notre égard. Vivons heureux. Baisez avec qui vous voulez.

 

J’aime ça! C’est ce qu’on veut, non? Et on l’a atteint au Québec.

Sauf qu’il parle juste de sa propre expérience. On n’est pas tous comme lui. Si Éric Duhaime se sent tout à fait à l’aise dans sa peau, s’il ne porte pas de cicatrices pour avoir grandi en étant « différent » que la majorité, s’il se croit être un gars comme les autres à part ses pulsions sexuelles, je suis heureux pour lui. Mais je ne crois pas que ce soit vrai pour la majorité des personnes LGBT, au Québec ou ailleurs, même les jeunes. Il y a des études qui démontrent qu’en fait, les taux d’anxiété, de dépression, de suicide parmi la population LGBT n’ont pas significativement changé pendant les dernières décennies.

 

John, t’es toujours dans la victimisation!

Non, c’est pas ça. Je suis d’accord avec lui que, en général, les gais ont tous les droits dont on a besoin. Mais le sort d’une communauté ne se résume pas que par les droits. Le fait qu’on a maintenant le droit de se marier ne change rien pour plusieurs gais et lesbiennes. Personnellement, je m’en fou!

 

Donc, on descend dans les rues pour réclamer… quoi?

Non, je ne veux pas dire qu’on a besoin (ici, au Québec, au Canada) de réclamer quoi que ce soit. Je crois que la lutte des personnes LGBT—la vraie lutte, la lutte qui ne cesse jamais—est une lutte intérieure. C’est la quête d’arriver à une compréhension profonde de soi-même. Parce que je ne crois pas que les personnes « queer » sont pareilles aux autres. On est égaux, mais pas pareils. Au risque de me perdre dans un argument trop vaste, j’avancerais la thèse que les minorités—les autochtones, les Noirs, les non-hétérosexuels—ont besoin de s'approprier leur propre histoire afin de s’affranchir des idées promulguées par les gens qui ont le pouvoir d’écrire l’histoire, c’est-à-dire les gagnants, les riches, les blancs, les hommes, les straights. C’est un processus révolutionnaire qui se passe largement sur le plan personnel. Mais j’ai l’impression, en lisant le livre de monsieur Duhaime, qu’il ne veut rien avoir avec une révolution. En fait, il évoque un avenir (un présent même) dans lequel on est tous fondus dans une masse d’individus, avec chacun ses propres caractéristiques, mais tous vivant en harmonie. Il déclare : « je trouve ça extrêmement heureux que les gays soient enfin sortis de ce ghetto underground … pour se fondre dans la majorité. Que nous soyons collectivement devenus “conventionnels” et “conservateurs” … »

Oh boy. Ça relève d’une philosophie de l’existence humaine que je ne partage pas ! Je m’excuse, mais on n’est pas juste des individus. Quand on fait partie d’une minorité, on porte dans nos corps, dans nos cerveaux, dans nos esprits, dans nos rêves et nos cauchemars l’histoire de cette minorité, et on est différent à cause de ça. Reconnaître cette différence, et l’employer pour lutter pour une plus grande ouverture dans la société dans laquelle on vit, c’est notre devoir.

Mais on peut accomplir cette tâche chacun selon ses propres convictions. En écrivant son livre, monsieur Duhaime a contribué à élargir le débat autour de ce que c’est d’être gai au Québec en 2017. Je le remercie pour cela, et j’ai tout respect pour ses opinions. Mais j’ai l’impression que, en contribuant à la discussion, il veut maintenant la clore, avec l’énoncé qu’il veut être le dernier gay. Désolé, mais la discussion est loin d'être terminée (tout comme on n'est pas rendu à la fin de l'histoire, comme disait Francis Fukuyama à l'époque, dans un livre que monsieur Duhaime cite avec admiration). Oui, les enjeux LGBT vont certainement prendre une autre tournure, qui sera probablement moins portée strictement sur les droits dans notre société et plus sur les idées et la politique dans un sens plus large.

 

Tu ne penses pas que, pour emprunter le titre du livre, on est rendu à « la fin de l’homosexualité »?

Mon Dieu, j’espère que non. La planète a besoin de nous, de notre différence, de notre énergie. Vive la diversité! Vive l’arc-en-ciel.

 

  

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